Se servir de ses propres émotions ?

« Les spectateurs ne dépensent pas 10 dollars pour qu’on leur donne matière à réflexion. Ils le font pour qu’on leur procure une émotion. »

David Fincher

« Une oeuvre d’art qui n’a pas commencé dans l’émotion n’est pas de l’art. »

Paul Cézanne

« L’attitude d’un auteur, quand il écrit pour le théâtre, doit être affective avant d’être intellectuelle car tout le théâtre s’adresse à l’émotion avant tout ».

Charlie Chaplin

Comme une étincelle à la source du conflit, l’émotion est bien au coeur du processus de création. L’émotion, telle une flèche, part du coeur de l’auteur(e) pour atteindre celui du lecteur/spectateur(trice).

Comment l’auteur(e) procure de l’émotion chez son lecteur/spectateur.©atelierd’écrituredubassin

Les émotions sont véhiculées par les personnages de la fiction. Il revient donc à l’auteur(e) de les faire agir et vivre des situations singulières qui provoquent chez eux ces émotions. Bien sûr, pour que le lecteur soit affecté, il doit être en empathie avec le protagoniste. Nous reviendrons, lors d’un autre article, sur cet aspect, lié à la qualité de la caractérisation.

Pour attribuer une émotion spécifique à un personnage, l’auteur(e) peut vouloir s’inspirer de ses propres émotions. En effet, tant qu’à vivre un bouleversement, même d’ordre intime, autant l’utiliser à des fins créatrices, non ? Alors, quelle matière transposer exactement ?

Si la peur – souvent traduite en littérature par des formules toutes faites comme « son sang ne fit qu’un tour », « sa gorge se noua », ou « son coeur battit la chamade » – s’est révélée de manière différente chez vous, comme une réaction physiologique plus originale (par exemple, un tympan qui palpite, une mâchoire qui se bloque, une subite aphonie) ou encore une action inattendue, vous pouvez certainement assigner ce « vécu » à l’un de vos personnages.
Par exemple : Au coin de la rue, quatre silhouettes se dessinaient dans la pénombre. Les rires idiots des garçons n’auguraient rien de bon…

Au lieu d’écrire :


Son coeur palpita.

Stressée, elle s’empara de son téléphone portable. Comme l’un d’eux la provoquait en la fixant du regard, elle sélectionna, au hasard, un numéro parmi ses contacts et hurla un strident « A l’aide ! »
Le meneur, persuadé qu’elle avait appelé la police, déguerpit, aussitôt suivi des trois autres.
Rassurée, elle reprit son souffle quand elle entendit la voix d’Alex exulter :
– Tu as changé d’avis ? Tu veux vivre avec moi ?

C’est déjà plus intéressant, non ? D’abord c’est plus spécifique qu’une phrase toute faite et surtout cette action a des conséquences dramaturgiques, notamment sur de potentielles intrigues secondaires.

Dans quelle mesure utiliser ses propres émotions ?

Si une situation vous révolte et provoque chez vous de la colère, utilisez-la ! Explorez les aspects physiologiques, la raison profonde, la situation, l’élément déclencheur, les conséquences. Quels éléments pouvez-vous ensuite destiner à l’un de vos personnages ? La condition sine qua non pour que cette transposition fonctionne est que ces éléments soient cohérents avec la caractérisation de votre héros. Sinon, le lecteur sera troublé et sortira de votre histoire.
Envie d’authenticité : la dernière déclaration d’amour que vous avez reçue était tellement incroyable que vous avez envie de l’immortaliser dans votre roman ? Et pourquoi pas ?

Toutefois, j’émets une réserve : il est important de garder un minimum de distance avec ses créatures imaginaires.
Pour m’expliquer, je fais une analogie avec certains comédiens qui, pour être au plus près leur personnage, recourt à La Méthode (Lee Strasberg). L’Actors’ Studio pousse les acteurs à faire appel à leur vécu, à leur mémoire affective pour servir leur jeu et ainsi « amener le personnage à soi et non l’inverse ».
Alors, attention à ne pas transformer votre fiction en une sorte de biographie involontaire dans laquelle votre protagoniste n’est plus que l’ombre de vous même.

Ainsi, oui, nos propres émotions représentent une sorte de puits sans fond dans lequel nous pouvons puiser des éléments authentiques voire des pépites pour faire vibrer, par effet de ricochet, nos lecteurs.
Attention toutefois à prendre du recul pour garder votre esprit critique et surtout respecter le personnage, de fiction certes, à qui vous venez de donner vie.

Et comme disait le maître du suspense, créer de l’émotion n’est que le début :

« Notre fonction première est de créer de l’émotion et notre fonction secondaire est de soutenir cette émotion »

Alfred Hitchcock

Le fameux petit carnet dans lequel noter à tout moment ses idées, mais aussi ses émotions n’est pas superflu.

Envie d’explorer les émotions au travers de techniques narratives et d’exercices d’écriture ? Rejoignez l’Atelier d’Ecriture du Bassin et bénéficiez d’une séance d’essai offerte.

Bonnes vibrations !

Publié par DELPHINE BERNARD

Auteure pour le théâtre d'entreprise depuis 2015 et formatrice en management, j'anime un atelier d'écriture pour transmettre mes connaissances en dramaturgie à des personnes qui souhaitent améliorer leur technique et leur créativité pour créer des histoires.

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